En visite dans une brasserie artisanale du canton de Fribourg

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La visite d’une brasserie artisanale, c’est un voyage fascinant du grain à la bouteille. Rencontre avec deux passionnés, Laurent Michel de la Brasserie du Dzô dans la Glâne et Alain Morand de la Brasserie Fri-Mousse en Basse-Ville de Fribourg. 

Visite de la Brasserie du Dzô

Au pays du vitrail, c’est pour un autre type de verre que se passionne Laurent Michel: celui qui lui sert à mettre en valeur sa gamme de bières artisanales. “Avec ce verre standard désigné spécialement pour la dégustation de bière, on monte en gamme”, se réjouit l’expert, qui a à cœur de redorer le blason d’une boisson à tort sous-estimée. 

Le “dzô”, fondateur de la Brasserie du Dzô, organise sur demande la visite de sa brasserie artisanale à Vuisternens-devant-Romont. Chaque année, ce sont environ 40’000 litres de bière artisanale qui sortent des cuves. Au programme, présentation du processus de brassage, du grain à la bouteille, et échanges animés avec un interlocuteur aussi intarissable que la soif de ses invités. La visite de la brasserie se termine heureusement par une dégustation commentée et conviviale.

  • Rendez-vous ici pour d’autres visites de brasseries artisanales, événements et activités touristiques autour de la bière dans le canton de Fribourg.

Brasseur autodidacte depuis 26 ans, le Châtelois d’origine (sa famille y vit depuis l’an 1008!) a tenu à se former avant de se lancer professionnellement dans la bière artisanale. Un cours en ligne? Une formation continue? Non! Pas moins de quatre ans d’études à la Haute école de viticulture et oenologie à Changins (VD) pour obtenir son diplôme d’œnologue en vin.

“Les mêmes principes sont valables pour le vin et la bière, comme les notions de physique et de chimie, mais aussi les règlements en matière d’hygiène ou encore l’analyse sensorielle”, compare l’œnologue brasseur. Un gage de crédibilité essentiel pour celui qui enseigne désormais le module “bières” à Changins aux étudiants en œnologie et du brevet fédéral de sommelier en vin.

Lors de la visite de sa brasserie artisanale, Laurent n’hésite pas à se référer au tableau accroché au mur qui recense de nombreux styles de bières dans le monde. Pour différencier les deux grandes familles de bières, les “Lager” et les “Ale”, on parle souvent de fermentation basse pour les “Lager” (autour de 10°C) et de fermentation haute pour les “Ale” (autour de 20°C). L’une des références internationales pour les lignes directrices de la fabrication des bières se trouve aux Etats-Unis, The Beer Judge Certification Program (BJCP).

Retour dans la Glâne: le site internet de la Brasserie du Dzô, vers lequel renvoient aussi les QR-codes des étiquettes de bouteilles, donne des indications précises pour chacun des breuvages brassés à Vuisternens-devant-Romont. On y trouvera le style, la composition, le degré d’alcool, l’amertume, la couleur et la température de service de la bière artisanale. L’impression générale est complétée par l’apparence, les arômes et le goût, ainsi que des conseils d’accords mets et bière. Des infos utiles aussi bien aux néophytes qu’aux dégustateurs avertis!

Le patois dans l’ADN

La génération des grands-parents de Laurent Michel parlait patois et il n’est pas rare que les familles fribourgeoises intercalent encore de nos jours des mots de patois dans les conversations courantes. Pour en savoir davantage, lire notre article de blog “Le patois fribourgeois, un dialecte bien vivant”.

D’où la Brasserie du Dzô tire-t-elle son nom? En patois, “Dzô” est le diminutif de “dzodzet” ou “dzodzette”, qui fait référence au prénom “Joseph” très répandu en terres catholiques. C’est aujourd’hui un terme typique dans les cantons romands pour désigner les Fribourgeois et Fribourgeoises.

Avec humour, les breuvages de la Brasserie du Dzô puisent aussi leur nom dans le patois fribourgeois, dont voici quelques explications.

  • Batoille: de « batoye », personne bavarde
  • Cramine: de “kramena”, froid vif
  • Chenaye: de “chenaye », cloche, toupin
  • Rupite: de « dèrupito », forte pente
  • Tintébin: de « tin tè bin » (tiens-toi bien), déambulateur, banc percé ou soutien-gorge

Du malt de la Broye fribourgeoise

Toujours ouvert à de nouvelles expériences, Laurent a répondu positivement à la proposition de collaboration d’une exploitation agricole bio bien connue en Suisse romande, celle de la famille Bonvin à Rueyres-les-Prés. L’agriculteur Steve Bonvin produit en effet du malt local dans la Broye fribourgeoise. Fin 2022 est alors sortie la dernière née de la Brasserie du Dzô, “La Petiote”

© Julien James Auzan

“C’est une bière de soif, facile à boire, sans aspérité. Avec ce type de bières, le verre est vide sans qu’on s’en rende compte”, décrit Laurent. Clin d’œil à ses origines locales, la bière artisanale “La Petiote” revendique son style “Dzôdz’Ale” (inspiré de “Pale Ale”). Sur chaque cuvée, l’étiquette changera en mettant en valeur une ou un artiste de la région. A déguster lors d’une visite de la brasserie.

“D’habitude, lorsque je crée un nouveau style de bière artisanale, je commande les ingrédients nécessaires. Cette fois-ci le défi était différent puisque c’est à base d’ingrédients locaux et de certaines contraintes que j’ai développé le produit.” Autre différence, un prix légèrement supérieur étant donné que le malt suisse coûte 400% plus cher que du malt importé!

Première bière labellisée Fribourg regio.garantie

Avec le soutien de l’association Terroir Fribourg, qui compte dans ses membres plusieurs brasseries artisanales organisant des visites, Laurent a labellisé la première bière artisanale Fribourg regio.garantie. Cette certification exige que les produits soient composés d’un minimum de 80% d’ingrédients régionaux (pour les produits composés comme les bières) et que leur production garantisse au moins 2/3 de valeur ajoutée économique dans la région. Une exception pour la transformation du malt dans le canton du Jura a été approuvée, par manque de structures sur le territoire fribourgeois.

Alors pourquoi ne pas produire une gamme 100% suisse? Le brasseur de la Brasserie du Dzô explique que notre pays ne fournit malheureusement de loin plus toutes les qualités de maltage (les compétences ayant été « perdues » dans les années 60 suite à la fermeture des malteries), sans compter que la Suisse manquerait de surface pour cultiver le malt. Enfin, le prix supérieur du produit fini constitue encore un frein auprès du public (entre 6.- et 6.50.- la bouteille de bière artisanale de 33 cl). 

Plus largement, Terroir Fribourg ouvre à la brasserie artisanale les portes de divers événements, comme le Salon Suisse des Goûts et Terroirs à Bulle, la Bénichon du Pays de Fribourg ou encore Fribourg, Ville du Goût qui a lieu en 2023 dans tout le canton.

Visite du magasin Fri-Mousse en Basse-Ville de Fribourg

Parmi les acteurs incontournables du canton de Fribourg, la Brasserie Fri-Mousse (anciennement Brasserie artisanale de Fribourg) fut l’une des pionnières du monde de la bière artisanale romande au début des années 90. “Nous avons été les premiers à proposer une démonstration de brassage à la Fête européenne de la bière à Lausanne par exemple”, se souvient Alain Morand, co-fondateur. Début 2000, les Fêtes médiévales à la place du Petit-Saint-Jean, en Basse-Ville de Fribourg, donnent même l’occasion à cette bande de copains de brasser dans des chaudrons et au feu de bois.

Au fil du temps, le bar privé du quartier de Beauregard se déplace dans une ancienne boucherie à la Samaritaine en Basse-Ville de Fribourg à la fin des années 90. Pendant une dizaine d’années, les démonstrations et dégustations de bière artisanale avec visite de la brasserie prennent petit à petit de l’ampleur grâce au bouche-à-oreille. Puis en 2007, c’est le grand saut à deux associés avec le lancement comme activité principale et le déménagement de la production à Guin. A l’heure actuelle, la Brasserie Fri-Mousse produit quelque 80’000 litres de bière artisanale par an. 

Dans les bières annuelles, la première recette historique de la “Old Cat” a été rejointe par “La Dzodzet”, “Barbeblanche”, “Barberousse” et “La Bolze”. Les bières de saison comme “La Fleur de Sureau”, “Le Charbonnier” ou “Framçoise” complètent la gamme. A noter que toutes les bières de Fri-Mousse sont produites en fermentation haute.

© Julien James Auzan

Le magasin Fri-Mousse demeure à la rue de la Samaritaine, dans des locaux rénovés. “C’est une belle vitrine dans un quartier incontournable du circuit touristique classique à Fribourg”. L’espace ouvre le vendredi après-midi et le samedi, ainsi que sur demande pour une visite de brasserie en groupe. “Nous avons toutes sortes de publics, des enterrements de vie de garçon ou de jeune fille aux sorties d’entreprises, en passant par les clubs sportifs et les touristes de passage.” La principale différence entre une brasserie artisanale et une brasserie industrielle? “Ce n’est pas une question de volume, mais d’état d’esprit. J’ai l’habitude de dire qu’un artisan, c’est quelqu’un que vous pouvez rencontrer, qui est impliqué de la production à la commercialisation.”

En 30 ans, le paysage autour de la bière artisanale romande et à Fribourg a beaucoup changé. “La phase de commercialisation de la part des micro-brasseries a démarré entre 1995 et 2000, se remémore Alain. Puis il y a eu un phénomène de mode entre 2010 et 2015 avec une explosion du nombre de brasseries artisanales en Suisse, jusqu’à 1400 entreprises. Actuellement, le marché est en train de s’auto-réguler.”

Du côté des magasins et des restaurateurs, qui à l’époque ne servaient presque que des bières industrielles, l’approche a également beaucoup changé. “Aujourd’hui, tout restaurant ou commerce se doit de proposer au moins une bière d’une brasserie artisanale, sans quoi il risque de se couper d’une partie de sa clientèle.”

Trois idées reçues sur la bière

  1. “La bière artisanale, c’est fort!”

Faux! D’abord, qu’entend-on par “fort”? Le goût, le degré d’alcool, une perception subjective? Ensuite, il existe tellement de bières artisanales différentes, aux arômes et degrés d’alcool divers, que ce serait impossible de toutes les catégoriser ainsi.

  1. “Les femmes n’aiment pas la bière parce que c’est amer.”

Faux et faux! Premièrement, rien ne prouve que les femmes n’aiment pas la bière, un a priori social véhiculé notamment par la publicité des marques industrielles. Deuxièmement, dans la large palette des bières artisanales avec ou sans amertume, tout le monde en trouvera une à son goût. Troisièmement, l’amertume est le goût le plus complexe: il n’existe pas une mais des amertumes. Une multitude de molécules entrent en ligne de compte et chacun en aura une perception subjective.

  1. “On classe toujours les bières par couleurs (blanche, blonde, spéciale, brune ou noire, ambrée).”

Faux! La couleur de la bière ne donne une indication que sur… sa couleur. Si vous vous fiez seulement à cette classification largement répandue, son goût pourrait bien vous surprendre plus d’une fois! De nombreux brasseurs artisanaux s’amusent d’ailleurs à jouer avec ces codes. D’autres classifications plus précises existent, par exemple par pays et par mode de fabrication.

Dégustation express

L’analyse sensorielle mobilise tous les sens et, comme tous les produits alimentaires, la bière possède elle aussi sa roue des arômes.

Pour une dégustation express lors d’une visite de brasserie ou ailleurs, sans trop entrer dans la technique, évaluez sur une échelle de votre choix les éléments suivants, d’insignifiant à très intense:

  • Céréales
  • Aromatique
  • Amertume
  • Teneur en gaz

Puis, les yeux fermés, reconstruisez la bière artisanale dans votre tête, comme une histoire.

A force de dégustations de bières différentes, cette technique devrait vous permettre de développer votre culture autour de ce breuvage. Restez néanmoins humble et acceptez de ne pas tout connaître!

Illustration: roue des arômes

Fribourg et la bière, une histoire séculaire

“Depuis quand existe la bière?”, nous met au défi notre dzô Laurent Michel. La réponse, il la développe dans un article passionnant sur le site internet de la Brasserie du Dzô. Les traces les plus anciennes de la fabrication d’une boisson alcoolisée à base de céréales remontent à 15’000 ans en arrière, soit 13’000 ans avant J.-C. “Bien avant le vin, et même avant l’agriculture!”, relève avec malice le brasseur. “On se demande même si ce ne serait pas la culture des céréales pour la fabrication de la bière qui aurait poussé l’humanité à développer la première forme d’agriculture nomade.”

Sur le canton de Fribourg, les débuts de la production brassicole artisanale datent du début du XIXe siècle. Selon un article publié dans la revue Pro Fribourg, il existe en 1883 11 brasseries dans le canton de Fribourg, dont cinq à Fribourg (sur 423 brasseries en Suisse). Mais petit à petit, ces brasseries familiales disparaissent au profit de plus grands groupes tenus par des “dynasties” comme les Guhl ou les Blancpain.

© Julien James Auzan

Les deux brasseries concurrentes les plus connues, Beauregard et Cardinal éclipsent les précurseurs à partir de la fin du XIXe siècle. Pendant une bonne partie du XXe siècle, ces deux enseignes de la Vieille-Ville puis du quartier Beauregard de Fribourg portent haut les couleurs du canton, marquant durablement l’économie et la société fribourgeoises.

Beauregard emploiera jusqu’à 160 personnes. Avec l’inauguration de sa nouvelle salle de brassage en 1961, largement vitrée, elle fait un beau coup de communication en permettant aux passants d’admirer ses grandes cuves en cuivre.

Proche de la gare de Fribourg également, Cardinal reste dans la mémoire récente pour sa reprise de Beauregard en 1970 dans le holding Sibra, qui regroupe six brasseries. En 1973, seule la marque Cardinal subsiste. Mais l’annonce de la fermeture de Cardinal par Feldschlösschen en 1996 résonne encore aujourd’hui comme un coup de tonnerre dans le ciel fribourgeois. Suite à une large mobilisation, le site obtient une dizaine d’années de sursis jusqu’à sa fermeture définitive en 2011. 

De nos jours, le Swiss Bear Museum se situe à l’emplacement de l’ancienne Brasserie Cardinal, sur le site de BlueFactory (gratuit avec la Fribourg City Card, fermeture annuelle de fin juin à mi-août mais visites de groupe possibles sur réservation).

Ironie de l’histoire, les micro-brasseries qui avaient en leur temps été éclipsées par les grandes maisons reviennent en force depuis une vingtaine d’années! Aujourd’hui, il existe une quarantaine de brasseries artisanales sur le canton de Fribourg.

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